•   PAULINE PERPLEXE

     

    Pauline Perplexe est le nom d'une ancienne maison familiale située à Arcueil, gérée par des artistes et reconvertie en un lieu indépendant de production artistique et d’exposition depuis 2015.

     

    La dynamique de ce lieu et sa construction au quotidien, se nourrissent des tropismes de chacun. L'espace est réparti sur deux niveaux en ateliers et salles d'expositions et se combine sans cesse différemment, selon les exigences et la singularité  de chaque projet. La programmation prend des formes multiples: concerts, lectures, expositions, projections et autres initiatives. En invitant des artistes d'horizons variés à se saisir de cet espace comme d’une plateforme, Pauline Perplexe veut favoriser l'essaimage d'une scène naissante et construire les meilleures conditions possibles d’expérimentation et d’émergence de nouvelles formes.

     

    Le contexte géographique du pavillon occasionne un type d'échanges basé sur des relations de proximité et de coopération. Les liens tissés avec les entreprises du secteur de l’artisanat et les établissements scolaires  créent un terrain propice à engendrer de nouvelles perspectives chez les artistes.

     

    Ce projet a été rendu possible grâce à l'association Plateau Urbain et au soutien de la mairie d’Arcueil.

     

    http://www.plateau-urbain.com/

    http://www.arcueil.fr/

     

    Horaires d'ouvertures, sur rendez-vous.

  • PLAN / CONTACT

    90 Avenue de la convention

    94110 ARCUEIL

    RER B. Station Laplace

     

    paulineperplexe@gmail.com

    tel: 06.67.28.86.97

    ou: 06.61.70.37.22

     

    RER B - STATION : LAPLACE

    Chatelet-les-halles / Laplace: 13min

     

    Horaires d'ouvertures, sur rendez-vous.

*

FAU PAS -  Stephen Maas

Commissariat, Sarah Holveck

 

Dans un livre sur la grotte de Chauvet, les paléontologues racontent l’humidité et la couche de calcaire qui permet les datations. Lui, s’est arrêté sur un geste laconique, peut-être le premier monochrome du monde. Cette forme, dite « le papillon », est la marque de l’homo Sapiens qui s’engage sur le chemin imaginaire des signes. A la différence des autres inscriptions, il semble n’y avoir ni repentir, ni surimpression, elle est une pause visuelle, un aplat, un silence formel dans ce dédale de parois ornées de vestiges graphiques. Dans la grotte, la main ne saisit ni ne taille, elle dépose. En écho, il superpose et finit par faire enfler l’aplat. Chauvet a été reproduite, extraite du noir. Il en façonnera des mises à jour, ne s’adressant finalement qu’aux ours nyctalopes.

Dans son atelier, le plafond de ouate de cellulose assure le silence et couvre un espace jonché de matériaux nus entre lesquels, posé dans un coin, le cône de coulée bascule en socle, autrement ça ne tient pas debout. Il savait que le moulage allait être fin et donc impossible à verticaliser. On peut enlever le cône de coulée, on peut le meuler, mais on obéit à des lois physiques. Les matières ont leurs propres lois, on ne peut pas les dompter plus que ça. Alors l’espace minimum du moule dicte la vrille, et la vrille dicte les feuilles de chrysocale.

«Trounoir» est une fonte d’aluminium, placée près du mur et retenue dans sa chute probable par un câble d’acier en tension. Quand il a montré cette pièce à la Chapelle Saint-Nicodème de Guénin en Bretagne, il a beaucoup pensé à son obscurité et à sa lumière. En y construisant un planché oblique, il obscurcissait un vide. Dans la fonte aussi, quand on coule, on obscurcit un vide. D’où le titre, Trounoir. La définition d’un trou noir c’est : « une région de l’espace de laquelle rien ne peut s’échapper, pas même la lumière. Cela ne peut se produire que quand il existe une très grande masse, suffisamment concentrée et dont la force d’attraction gravitationnelle est suffisante pour retenir n’importe quel objet, particule, ou même rayon lumineux. ». Mais là en l’occurence il y a un trou dans cette pièce, le creux du moule canalise la lumière et la réintègre dans le vide du plancher.

Juché sur la mezzanine désencombrée, un bloc de cire bleu conserve en sa forme la chaleur du métal sur lequel il a fondu. Un été, il est tombé sur des moules, et comme sur beaucoup de choses, il tombe vraiment, comme un accident. Il tombe donc sur un lot de patrons de chapeau en bois. Pour faire un chapeau, à l’époque, la première étape c’est de sculpter le bois, pour trouver la forme, puis on en fait des tirages en fonte sur lesquels on forme les chapeaux de feutre. Lui en a fait des tirages en cire. Il faisait très chaud cet été là, et à l’aide d’une loupe et des rayons du soleil, il a percé des trous dans la cire. Puis il en a fait des tirages en aluminium. Et il savait aussi que les cônes de coulée, leurs attaques, pouvaient d’une certaine manière devenir guerrières, comme des arbalètes.

Une étiquette collée sur une boîte de livraison extrait le regard du dédale de l’atelier, on y lit distinctement : Noiseless cracking powder — un produit qui permet de dilater la roche pour la séparer en deux. Plus tard quand il a posé les lettres de cire ductile et sourde sur des tubes de carton verticaux, les tubes sont devenus les I, et Noiseless cracking est devenu «Eyeless» — I less. Une détonation sourde et aveugle qui a aussi fait perdre sont T et son X à fau pas.
Et quand il élague «Other Horizons», les trois sculptures qui en découlent sont des H, comme un signe de construction; des plaques d’aluminium éteintes par l’acide, seulement emboîtées, deux verticales et deux horizontales qui frôlent la surface du sol de leurs arêtes.

C’est avec cet arrière plan, dans ce dédale de possibles, que les «Chauvettes» se façonnent, sauvegarde après sauvegarde. Après avoir commandé le morceau de la grotte en résine à celui qui l’a reproduite, après avoir fait une première sauvegarde en silicone de la copie, le silicone élastique s’est tordu et a expulsé le plâtre polyester. La résine s’est chargée d’oxyde rouge et de graphite pure, puis il y a ajouté une couche de carbone noir et bleu par dessus, allant du blanc, au gris, au bleu nuit, au noir. Du clair à l’obscur, pour ainsi dire. Et ce qui allait aussi l’intéresser, c’était qu’il n’allait pas devoir déterminer une échelle, pour une fois. La pièce de résine reçue allait servir en tant que telle. Et même si posséder un morceau de la grotte est une hérésie et qu’il a conscience de l’artifice, il ne peut techniquement pas être plus proche du réel.

Dans l’espace habité, il referme les portes pour conserver la chaleur. En face du cana- pé réside un empilement de blocs en résine verte. C’est de ces blocs que la version en résine des Tanagras, premiers bibelots en poterie de la Grèce antique, ont été sortis. Il ne sait pas vraiment si c’est une pièce. C’est un meuble vide-poche, c’est aussi ce qui reste, un contre-poids massif et mutique dans un univers de pièces en fonte, en quête constante de légèreté. C’est vers cette salle que les sculptures finies s’extraient. Elles se dressent face à l’invitée, tout en conservant le déséquilibre, le bégaiement, le souffle de l’espace d’à côté.

 

Sarah Holveck, d’après un entretien avec Stephen Maas

 

« Mais l’homme que nous suivons dans sa descente souterraine a pris un tout autre chemin. Il retourne à la noirceur de la terre pour construire sa définition en remettant en jeu la distribution des ténèbres et le destin de ce qui devra l’éclairer. Il va transformer un rapport de force où le réel l’écrase en un rapport imaginaire qui lui confère sa capacité de naître, donc d’être cause de lui-même, de se mettre au monde et d’entretenir avec ce monde un commerce de signes. Ce n’est pas le soleil ni quelque divinité photophore ou luciférienne qui l’éclaire. Non, c’est la torche qu’il a enflammée de ses propres mains. Il est là, debout, face à un mur dans la nuit dont il produit la clarté. Face à la roche, il se tient, debout dans l’opacité d’un face-à-face, confronté à la muraille qui est son horizon, massive, muette et sans regard comme peut l’être dehors l’incommensurabilité des obstacles et des terreurs sans nom. Ce mur, c’est le monde qui résiste à la maîtrise et à la pénétration. Là sera pourtant son point d’appui, le site irréductible dont il va faire son point de départ. Le voici qui tend le bras, qui s’appuie à la paroi et s’en sépare dans un même mouvement : la mesure d’un bras telle est en effet la première mise à distance de soi avec le plan sur lequel va se composer un lien par la voie d’un contact. Ce n’est plus comme dehors, au soleil, où ses yeux voient bien au-delà de ce que ses mains peuvent toucher. Ses yeux dans le monde subsolaire sont les outils de la prévoyance d’une distance à parcourir ou à creuser. Dehors les yeux se donnent un horizon qu’il interrogent et qui provoque un désir de conquête. L’horizon est épreuve d’un écart qui suscite le rêve ou la maîtrise. Son inaccessibilité est propice aux figures imaginaires de la transcendance. Ici point d’autre horizon pour les yeux que la proposition modeste de la longueur d’un bras. C’est l’immanence d’un corps-à-corps. Le bras tendu, la main appliquée sur la paroi, il ne s’agit ni de fuir ni d’approcher davantage mais de tenir à distance proprement main-tenue, main-tenant et désormais réglée. Cette distance est à la mesure du corps. L’oeil est soumis à l’ordre des mains, c’est la paroi qui est le plan et qui est l’horizon du regard. Tout au autour, plus loin, il n’y a que ténèbres. Ce geste d’écart et de lien constitue la première opération. Cette première phase détermine les deux sites entre lesquels va se jouer le sens des gestes qui vont venir : le corps et la paroi du monde. Et le monde est un mur. Un entretien s’inaugure en ce sens que l’homme se tient devant la paroi qui a sa propre tenue et que ce qui doit advenir entre eux n’est que dans les mains de l’homme. »

 

Marie-José Mondzain, extrait de Homo Spectator (2007)

 

 

FAU PAS

Stephen Maas

Commissariat, Sarah Holveck

 

Dans un livre sur la grotte de Chauvet, les paléontologues racontent l’humidité et la couche de calcaire qui permet les datations. Lui, s’est arrêté sur un geste laconique, peut-être le premier monochrome du monde. Cette forme, dite « le papillon », est la marque de l’homo Sapiens qui s’engage sur le chemin imaginaire des signes. A la différence des autres inscriptions, il semble n’y avoir ni repentir, ni surimpression, elle est une pause visuelle, un aplat, un silence formel dans ce dédale de parois ornées de vestiges graphiques. Dans la grotte, la main ne saisit ni ne taille, elle dépose. En écho, il superpose et finit par faire enfler l’aplat. Chauvet a été reproduite, extraite du noir. Il en façonnera des mises à jour, ne s’adressant finalement qu’aux ours nyctalopes.

Dans son atelier, le plafond de ouate de cellulose assure le silence et couvre un espace jonché de matériaux nus entre lesquels, posé dans un coin, le cône de coulée bascule en socle, autrement ça ne tient pas debout. Il savait que le moulage allait être fin et donc impossible à verticaliser. On peut enlever le cône de coulée, on peut le meuler, mais on obéit à des lois physiques. Les matières ont leurs propres lois, on ne peut pas les dompter plus que ça. Alors l’espace minimum du moule dicte la vrille, et la vrille dicte les feuilles de chrysocale.

«Trounoir» est une fonte d’aluminium, placée près du mur et retenue dans sa chute probable par un câble d’acier en tension. Quand il a montré cette pièce à la Chapelle Saint-Nicodème de Guénin en Bretagne, il a beaucoup pensé à son obscurité et à sa lumière. En y construisant un planché oblique, il obscurcissait un vide. Dans la fonte aussi, quand on coule, on obscurcit un vide. D’où le titre, Trounoir. La définition d’un trou noir c’est : « une région de l’espace de laquelle rien ne peut s’échapper, pas même la lumière. Cela ne peut se produire que quand il existe une très grande masse, suffisamment concentrée et dont la force d’attraction gravitationnelle est suffisante pour retenir n’importe quel objet, particule, ou même rayon lumineux. ». Mais là en l’occurence il y a un trou dans cette pièce, le creux du moule canalise la lumière et la réintègre dans le vide du plancher.

Juché sur la mezzanine désencombrée, un bloc de cire bleu conserve en sa forme la chaleur du métal sur lequel il a fondu. Un été, il est tombé sur des moules, et comme sur beaucoup de choses, il tombe vraiment, comme un accident. Il tombe donc sur un lot de patrons de chapeau en bois. Pour faire un chapeau, à l’époque, la première étape c’est de sculpter le bois, pour trouver la forme, puis on en fait des tirages en fonte sur lesquels on forme les chapeaux de feutre. Lui en a fait des tirages en cire. Il faisait très chaud cet été là, et à l’aide d’une loupe et des rayons du soleil, il a percé des trous dans la cire. Puis il en a fait des tirages en aluminium. Et il savait aussi que les cônes de coulée, leurs attaques, pouvaient d’une certaine manière devenir guerrières, comme des arbalètes.

Une étiquette collée sur une boîte de livraison extrait le regard du dédale de l’atelier, on y lit distinctement : Noiseless cracking powder — un produit qui permet de dilater la roche pour la séparer en deux. Plus tard quand il a posé les lettres de cire ductile et sourde sur des tubes de carton verticaux, les tubes sont devenus les I, et Noiseless cracking est devenu «Eyeless» — I less. Une détonation sourde et aveugle qui a aussi fait perdre sont T et son X à fau pas.
Et quand il élague «Other Horizons», les trois sculptures qui en découlent sont des H, comme un signe de construction; des plaques d’aluminium éteintes par l’acide, seulement emboîtées, deux verticales et deux horizontales qui frôlent la surface du sol de leurs arêtes.

C’est avec cet arrière plan, dans ce dédale de possibles, que les «Chauvettes» se façonnent, sauvegarde après sauvegarde. Après avoir commandé le morceau de la grotte en résine à celui qui l’a reproduite, après avoir fait une première sauvegarde en silicone de la copie, le silicone élastique s’est tordu et a expulsé le plâtre polyester. La résine s’est chargée d’oxyde rouge et de graphite pure, puis il y a ajouté une couche de carbone noir et bleu par dessus, allant du blanc, au gris, au bleu nuit, au noir. Du clair à l’obscur, pour ainsi dire. Et ce qui allait aussi l’intéresser, c’était qu’il n’allait pas devoir déterminer une échelle, pour une fois. La pièce de résine reçue allait servir en tant que telle. Et même si posséder un morceau de la grotte est une hérésie et qu’il a conscience de l’artifice, il ne peut techniquement pas être plus proche du réel.

Dans l’espace habité, il referme les portes pour conserver la chaleur. En face du cana- pé réside un empilement de blocs en résine verte. C’est de ces blocs que la version en résine des Tanagras, premiers bibelots en poterie de la Grèce antique, ont été sortis. Il ne sait pas vraiment si c’est une pièce. C’est un meuble vide-poche, c’est aussi ce qui reste, un contre-poids massif et mutique dans un univers de pièces en fonte, en quête constante de légèreté. C’est vers cette salle que les sculptures finies s’extraient. Elles se dressent face à l’invitée, tout en conservant le déséquilibre, le bégaiement, le souffle de l’espace d’à côté.

 

Sarah Holveck, d’après un entretien avec Stephen Maas

 

« Mais l’homme que nous suivons dans sa descente souterraine a pris un tout autre chemin. Il retourne à la noirceur de la terre pour construire sa définition en remettant en jeu la distribution des ténèbres et le destin de ce qui devra l’éclairer. Il va transformer un rapport de force où le réel l’écrase en un rapport imaginaire qui lui confère sa capacité de naître, donc d’être cause de lui-même, de se mettre au monde et d’entretenir avec ce monde un commerce de signes. Ce n’est pas le soleil ni quelque divinité photophore ou luciférienne qui l’éclaire. Non, c’est la torche qu’il a enflammée de ses propres mains. Il est là, debout, face à un mur dans la nuit dont il produit la clarté. Face à la roche, il se tient, debout dans l’opacité d’un face-à-face, confronté à la muraille qui est son horizon, massive, muette et sans regard comme peut l’être dehors l’incommensurabilité des obstacles et des terreurs sans nom. Ce mur, c’est le monde qui résiste à la maîtrise et à la pénétration. Là sera pourtant son point d’appui, le site irréductible dont il va faire son point de départ. Le voici qui tend le bras, qui s’appuie à la paroi et s’en sépare dans un même mouvement : la mesure d’un bras telle est en effet la première mise à distance de soi avec le plan sur lequel va se composer un lien par la voie d’un contact. Ce n’est plus comme dehors, au soleil, où ses yeux voient bien au-delà de ce que ses mains peuvent toucher. Ses yeux dans le monde subsolaire sont les outils de la prévoyance d’une distance à parcourir ou à creuser. Dehors les yeux se donnent un horizon qu’il interrogent et qui provoque un désir de conquête. L’horizon est épreuve d’un écart qui suscite le rêve ou la maîtrise. Son inaccessibilité est propice aux figures imaginaires de la transcendance. Ici point d’autre horizon pour les yeux que la proposition modeste de la longueur d’un bras. C’est l’immanence d’un corps-à-corps. Le bras tendu, la main appliquée sur la paroi, il ne s’agit ni de fuir ni d’approcher davantage mais de tenir à distance proprement main-tenue, main-tenant et désormais réglée. Cette distance est à la mesure du corps. L’oeil est soumis à l’ordre des mains, c’est la paroi qui est le plan et qui est l’horizon du regard. Tout au autour, plus loin, il n’y a que ténèbres. Ce geste d’écart et de lien constitue la première opération. Cette première phase détermine les deux sites entre lesquels va se jouer le sens des gestes qui vont venir : le corps et la paroi du monde. Et le monde est un mur. Un entretien s’inaugure en ce sens que l’homme se tient devant la paroi qui a sa propre tenue et que ce qui doit advenir entre eux n’est que dans les mains de l’homme. »

 

Marie-José Mondzain, extrait de Homo Spectator (2007)